samedi 24 avril 2010

Ce que je fais à Mexico

Mélanie
Un projet d’écriture ayant des ramifications dans d’autres champs d’activités artistiques

Le Désert mauve n’est plus vraiment pour moi un roman, c’est une matrice. Matrice – mot féminin faisant référence à la mère, la procréatrice contenant tout – est un mot qui définit particulièrement bien l’œuvre de Nicole Brossard. Poète plus connue comme féministe que comme femme de lettres.

Au premier abord, Le Désert mauve se présente comme un roman (qu’on a qualifié de postmoderne à cause de sa structure) sur la traduction. Bien que morcelé et modulaire, sa structure est symétrique : un roman dans le roman écrit par une auteure fictive et la traduction du français au français par une traductrice tout aussi fictive ouvrent et concluent l’œuvre. Entre les deux, les pensées de la traductrice, puis les exercices qu’elle effectue pour s’accaparer l’univers romanesque du Désert mauve. Voici comment ça se présente :

_Le Désert mauve de Laure Angstelle
___Un livre à traduire
_____Lieux et objets
_____Personnages
_____Scènes
_____Dimensions
___Un livre à traduire (suite)
_Mauve, l’horizon de Laure Angstelle traduit par Maude Laures

Mais avant sa structure, et même avant le thème de la traduction, c’est la soif de vie de Mélanie, personnage principal de l’œuvre, et le questionnement sur la perception et la réalité, enfin bref, la force poétique du texte qui m’ont fortement frappé à la première lecture.

Le Désert mauve comme matrice.

Depuis longtemps maintenant que je veux réaliser un film expérimental à partir des éléments centraux du Désert mauve, c’est-à-dire les exercices de la traductrice qui décrit les lieux et objets appartenant à l’univers de ces personnages évoluant en Arizona, dans le désert. Elle décrit également ces derniers, imagine des dialogues entre eux, puis s’attaquent aux grands thèmes de l’œuvre : l’aube, la beauté, la peur, la civilisation, etc.

Puis, ce projet s’est de lui-même mis de côté. J’en ai réalisé d’autres : un court métrage, Projections, à partir d’un recueil de nouvelles d’Andrée A. Michaud, une suite poétique intitulé Fade out, texte de rupture basé sur une photo de mon ex-femme prise un samedi matin devant la fenêtre de la chambre.

Aujourd’hui j’en suis à poursuivre une réflexion, des questionnements sur la réalité, la fiction, la perception et la mémoire qui ont été (en partie du moins) semés dans mon esprit par ma première lecture du Désert mauve. Une réflexion que j’ai poursuivi à travers mes autres projets, Projections et Fade out, et qui trouve ici une nouvelle déclinaison.

J’écris un livre de poésie. À travers cette écriture je poursuis et questionne l’image mentale que je me suis faite de Mélanie, personnage central du Désert mauve.

Avec Fade out, j’ai écrit sur la dérive d’une image, sur ce qui reste quand son objet disparaît (quand ma femme est partie), sur les transformations que font subir la perception, puis la mémoire. J’ai écrit sur l’image d’une personne que j’ai connue. Aujourd’hui, je connais mieux cette image que la femme qu’elle représentait.

Avec Mélanie (pour l’instant, c’est le titre de mon projet), je veux continuer la réflexion entamée dans Fade out, mais sans la femme de la photo. Un personnage de fiction prend sa place. Le fait que l'une soit de chair et l'autre de papier sera aussi matière à écriture.

Exactement au milieu du roman de Brossard, on retrouve la reproduction d’un dossier contenant des photos. Ce dossier se trouve exactement au milieu de la section « Personnages » et remplace la description textuelle de « l’homme long », seul représentant du genre masculin du récit. De même, je veux que ma quête du personnage de Mélanie (et de ceux qui lui sont proches) passe du textuel à l’image. Je veux qu’au beau milieu de mon projet, je cesse de me référer au livre de Brossard pour me référer désormais 1) à une expérience artistique ; 2) à une série d’images nouvelles représentant ma (notre) vision de ces personnages. Je veux que la quête passe du virtuel au matériel. Qu’on cherche dans la réalité palpable de Mexico une Mélanie possible, une Grazie possible et une Angela Parkins possible et qu’on mette en scène les images qui seront capturées en photographie.

Je veux donc organiser de sessions de prises de photo un peu comme on le ferait d’un tournage de cinéma : casting, repérage de lieux, réalisateur, directeur photo, directeur artistique, coordination générale. Je veux impliquer d’autres gens, des gens d’ici, de Mexico, pour donner de l’air au projet, y faire entrer des idées nouvelles, me bousculer vers des avenues que je n’aurais pas envisager autrement. Je veux cesser de ressasser la même image mentale, que celle-ci soit à son tour perçue, décodée, ré-interprétée par des tiers, mais aussi par la force transformatrice de la réalité : modèle qui, forcément, ne sera pas conforme à l’image que je me fais de Mélanie, son apparence physique, mais aussi sa personnalité teinteront le personnage, etc.

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